Jacques Desse: figurant de toutes les pièces ? Marri Joseph, partie 1

C’est sous ce titre « FIGURANT DE TOUTES LES PIÈCES» http://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/Negoussie_la_revue_des_ressources.pdf, qu’en novembre 2010, Jacques DESSE fit paraître sur le site de la Revue des ressources, une vingtaine de pages consacrées à un « ami » de RIMBAUD : Joseph NÉGOUSSIÉ, interprète de Ménélik, roi du Choa.  L’article suivait de seulement 2 mois, la publication sur ce même site du pavé de quarante pages, lancé à 4 mains, dédié à la fameuse photo du coin de guéridon d’Aden «RIMBAUD, Aden, 1880 : histoire d’une photographie» . 

À l’époque, cette réplique éditoriale tardive n’avait guère attiré mon attention.  A tort ! 

Je n’ai redécouvert ce document que tout récemment, presque par hasard. Hissée sur un escabeau improbable, ma vieille gouvernante passait le plumeau au plus haut désolé de mes étagères de bibliothèque quand chût l’astéroïde. Je ramassai l’étrange objet, le soupesai et feuilletai ses pages noircies de signes indubitablement extra-terrestres. Tout comme ces poussières d’étoiles tombées de l’espace, ce document témoignait du passé – oh, d’un passé certes récent, âgé d’à peine 5 années – mais d’un passé entièrement ignoré de moi, donc neuf, totalement vierge.  

Back to 2010 ! 

Dans cet article, Jacques DESSE présente – à partir d’un inédit découvert lors de ses recherches conduites autour du portrait d’Aden – l’histoire d’un singulier personnage : l’Éthiopien Joseph NÉGOUSSIÉ, témoin de 50 ans de la vie de son pays.  Les mauvaises langues pourront dire qu’il s’agit là de l’art connu d’accommoder les restes, il demeure qu’en cuisine (éditoriale ou non) ces restes sont toujours capables de nous gratifier de bons petits plats savoureux, sous réserve bien entendu que le chef fasse preuve d’un peu d’attention.  

Malheureusement, dire que ce document recèle quelques inexactitudes relèverait moins de la litote que du mensonge caractérisé. C’est tout bonnement un indigeste salmigondis d’âneries (et pas seulement parce que l’auteur y fait la part belle aux mules), en comparaison duquel le pire article de Wikipédia peut aisément se donner des airs de sérieux scientifique et d’érudition. 

Précisons donc l’argument développé dans l’article. 

Il aurait existé, pendant près d’un siècle, sur le sol éthiopien, un éternel Joseph NÉGOUSSIÉ, qui, « figurant de toutes les pièces», aurait traversé les époques et les âges de ce théâtre d’ombres où le spectateur mystifié croise tout à loisir les mânes de RIMBAUD et d’Henry de MONFREID.  

Grâce à Jacques DESSE, ce second-rôle magnifique entre dans la lumière. Enfin !

Il est nous est présenté un Joseph NÉGOUSSIÉ virevoltant, se jouant des titres, des lieux et des saisons. On le croit au Choa, il est en Russie ; on le pense au service de RIMBAUD, il est secrétaire des affaires étrangères du roi MÉNÉLIK ; on le voit en prison en 1898, il réapparaît en tenue de général, l’année suivante, accueillant le commandant MARCHAND de retour de Fachoda. Il est né en 1828, mais a encore bon pied, bon œil, au siècle suivant. 

Cet homme incroyable est à la fois Mathusalem, Fantômas et Charlie (celui au pull à rayures blanches et rouges, pas celui que je suis). Il est de tous les théâtres d’opération, dans tous les journaux, sur toutes les bouches, dans tous les cœurs. N’en jetez plus ! Même Jacques DESSE, dans un instant de lucidité (heureusement vite réfrénée), s’étonne : « On peut se demander s’il ne s’agirait pas de deux homonymes : le NÉGOUSSIÉ de Massouah dit avoir 45 ans en 1873, mais Ato NÉGOUSSIÉ est toujours actif vers 1917, date à laquelle il aurait donc eu 89 ans ».   

Qui est donc cet ubiquiste Joseph NÉGOUSSIÉ, cet Ato Joseph (monsieur Joseph), cet Alaka Joseph (Joseph le lettré), ce gherazmatch Joseph (général Joseph, chef de l’aile gauche), ce Joseph de Gälan, dont la vie s’étire sur près d’un siècle, comme un sambouck paresseux sur le sable d’Obock ?  

Peut-on raisonnablement penser qu’il s’agisse d’un seul et même homme, alors que cette abondance d’éléments contradictoires – et un peu de bon sens – semblent indiquer l’inverse? Et bien d’évidence oui, quand on est expert en Choanneries et rimbalderies associées !  «Il semble que ce soit bien le même homme, qui a connu une longévité exceptionnelle. Il est en tout cas certain que l’Ato Joseph de RIMBAUD est celui que connut, vingt ans plus tard, Henry de MONFREID », nous assène Jacques DESSE.

A cœur vaillant rien d’impossible ! Tel est Jacques DESSE, frère d’âmes de nos aventuriers abyssins, que jamais l’exceptionnel ou la triste réalité, voire la piètre vérité, n’intimide ! Le docteur Frankenstein n’avait pas construit sa créature avec plus d’enthousiasme, ni les découvreurs de rostres de narvals du Moyen-Age imaginé leurs licornes avec plus d’inventivité.  

Comme pour le soi-disant portrait de RIMBAUD à Aden, Jacques DESSE nous construit ici, « de toutes pièces», la figure improbable d’un Joseph NÉGOUSSIÉ imaginaire. Et tout comme pour la célèbre photo d’Aden, le puzzle, ici présenté, peut sembler complet à un public peu regardant. Toutes les pièces ne sont-elles pas assemblées ? Pour un puzzle, n’est-ce donc pas, l’essentiel ? 

Nous verrons que non ! 

Circeto (27/10/2015)

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