Si vous avez aimé la fable photographique du RIMBAUD d’Aden, vous adorerez Joseph NÉGOUSSIÉ, l’incroyable homme aux 2 visages, créé par le même auteur pour un public friand de sensations (assez relatives) ! Même méthode, même effet !
Le point de départ de l’article de Jacques DESSE est un document découvert dans les archives du ministère des affaires étrangères : une plainte pour viol, déposée en 1873 contre le vice-consul de France à Massawa (Ethiopie), par un certain Joseph NÉGOUSSIÉ. Se nourrissant d’informations recueillies à diverses sources, Jacques DESSE nous présente alors, avec moult détails et enluminures, ce qu’il affirme être le destin fabuleux de cet homme. Fidèle à sa méthode, l’auteur multiplie anecdotes, photos d’époque, scans de journaux anciens, témoignages croisés de grands auteurs et infinies notules de bas de pages – apparents gages de sérieux et de professionnalisme. Bingo !
Fier de l’intense travail de recherche par lui abattu, Jacques DESSE nous laisse en toute quiétude pénétrer dans les coulisses de son laboratoire, là où, au milieu des cornues et autres alambics, sa pensée se distille et ses scénarios se concoctent. Étape par étape, nous pouvons ainsi suivre le cheminement de ses idées et découvrir (avec sidération) comment il a pu, en toute innocence et contre toute évidence, créer son improbable monstre.
Cet article ramassé, concentré sur l’histoire d’un seul personnage (alors qu’il y en avait 7 pour la photo d’Aden) éclaire d’une lumière crue l’amateurisme grandiloquent de la méthode Jacques DESSE.
Recette JD © :
- Prenez une hypothèse vaguement construite ; au choix : RIMBAUD est nécessairement sur une photo prise à Aden, ou bien tous les avatars joséphiens constituent un seul et même homme !
- Accumulez les éléments les plus divers censés l’étayer !
- Réservez soigneusement toute information susceptible de porter la contradiction !
- Épicez de quelques considérations littéraires hors champ !
- Touillez avec un bon réseau !
- Il en restera bien quelque chose !
Dans la genèse, selon Jacques DESSE, la poule toujours apparaît avant l’œuf (et RIMBAUD avant la poule !) La fulgurance, l’idée de base, avant la démonstration. La suite n’est plus alors qu’une enquête à charge, sans doute ennuyeuse à conduire pour une âme si peu tâcheronne. En effet, Jacques DESSE préfère la beauté du bizarre qui peut naitre de la mise en perspective des époques, à la matérialité brute des faits, à la pesanteur du réel. La légèreté toujours est son crédo.
Pour Jacques, les informations glanées sont moins des indices à déchiffrer que de petits aperçus de passé, saisis au vol ; papillons magiques qu’il aime épingler et étaler sur papier blanc. De « merveilleuses images». Il nous les livre alors sous leur seule apparence, leur chatoiement figé. Il ne cherchera pas à les faire parler, mais parlera à leur place. Tout le contraire d’un historien !
Comment autrement expliquer l’incroyable négligence – et même le dédain – dont il fait preuve dans cet article vis-à-vis des nombreuses informations recueillies qui, dès le premier aperçu, d’évidence, contredisent la thèse présentée ?
Le plus bel exemple ? Cette soi-disant photo de Joseph NÉGOUSSIÉ, datée de 1895, que Jacques DESSE nous offre pleine page, en nous expliquant que Joseph NÉGOUSSIÉ faisait alors partie d’une délégation éthiopienne envoyée par l’empereur Ménélik auprès du tsar Nicolas II, afin d’obtenir l’appui de la Russie contre l’Italie. Sur cette photo, prise à St Pétersbourg, Ato Iosiph (alias Joseph NÉGOUSSIÉ selon l’auteur), secrétaire personnel de l’empereur, apparaît au pied d’un majestueux escalier (à moins qu’il ne soit à califourchon sur la rampe), entouré – nous affirme-t-il – de deux princes.

L’homme, barbu, paraît plutôt jeune, l’allure fière. Il est d’ailleurs conté dans l’article (Jacques adore ce type d’anecdotes) qu’à cette occasion Ato Joseph connût un grand succès auprès du public féminin : « femmes européennes à la peau blanche comme du lait», précise Hugues LE ROUX (in « Ebony and ivory » ). « Il fut fêté dans l’intimité par les admirateurs de sa belle prestance, de son corps de bronze », ajoute Henry de MONFREID.
Les photos peuvent en effet témoigner de la prestance (et de l’œil de velours ?) de notre Ato Joseph de 1895. Seul détail contrariant : Joseph NÉGOUSSIÉ est né en 1828 (cette information nous est livrée par le fameux document déniché aux Archives des affaires étrangères par Madame DESSE), ce qui lui fait quand même, en 1895, 67 ans aux prunes!
Qui (hormis Jacques DESSE) peut un seul instant, croire que l’Ato Joseph de la photo de 1895 est âgé de 67 ans ?! D’autant, qu’à cette époque, les années comptaient plutôt doubles, comme Jacques nous le rappelle d’ailleurs un peu plus loin dans l’article (clin d’œil ironique ?) à propos d’une photographie de 1899, montrant de jeunes soldats français de la mission MARCHAND : « la plupart de ces hommes ont moins de trente ans» (comprendre qu’ils en paraissent beaucoup plus).
La conclusion tombe d’elle-même : Joseph NÉGOUSSIÉ n’est pas sur la photo, pas plus que, sur l’autre, n’était RIMBAUD.
En outre, il ne s’agit pas de 2 princes, mais d’un seul, le prince BELYAKIO, (à gauche), neveu de Ménélik, accompagné du général GANÉMIÉ (à droite). Le chef de la délégation, le prince DAMTO, cousin de Ménélik, n’apparait en effet pas sur cette photo (pris par des obligations ou caché derrière la colonne).
C’est ce dont témoigne la photo suivante montrant les deux princes et le général éthiopiens, posant pour l’histoire et les reporters, assis à côté de LÉONTIEF, devant un superbe paysage typiquement russe, en pure laine vierge reconstituée.

(Ato Joseph a dû momentanément s’absenter car plusieurs dames européennes – à la peau de lait – réclamaient instamment son autographe)
Et pour la seule joie de l’oeil, ci-dessous, les délégations éthiopiennes et russes, enfin au grand complet, à St Pétersbourg (sans colonnes ni dames européennes superfétatoires). Ato Joseph, y tient dignement son rôle, cinquième au second rang. Les spécialistes en aménagement de la maison n’auront pu manquer de remarquer l’habile et discret dispositif d’accrochage du tableau.

Circeto (03/11/2015)