Lettre ouverte à tous les Assis,
dont les noms frétillent par ordre alphabético-protocolaire aux premiers rangs de la pétition :
S’il vous plait, foutez-leur la paix ! Que jamais les honneurs empesés de la République n’étouffent ces libres fantômes !
Et plutôt que de mettre en cage, même dorée, même de marbre, deux nouvelles recrues, rendez plutôt Jean-Jacques à son île des peupliers, où flotte encore parfois le souvenir de Gérard, Sylvie et Adrienne !
Cette pétition, mal pensée, mal ficelée, et, pire que tout, mal écrite est un crève-cœur pour qui aime vraiment (c’est-à-dire en toute innocence) l’œuvre et les vies de ces deux poètes. Quel Mal vous ont-ils fait pour vouloir tout à trac agiter ainsi leur poussière et troubler leur repos ? Leur mythe n’est pas à vendre, ni à l’étal, ni à l’encan ! Les soldes ne sont pas ouvertes !
« Que dit-on aux poètes à propos du Panthéon » (sic). Une première ligne, à l’image de l’entière démarche, affligeante. « Le châtiment de Tartuffe » aurait sans doute été plus approprié. Pourquoi, en effet, cette punition ? Pourquoi menacer ces deux poètes d’une condamnation, sans jugement ni jugeote, à une peine perpétuelle ? Vaille que vaille, Rimbaud et Verlaine ont tenté de vivre en liberté (autant que la société des Hommes alors – comme aujourd’hui, comme demain – pouvait le permettre), et vous voudriez à présent vous emparer de leurs restes, vous approprier leur mémoire comme l’on fait d’un scalp ou d’un trophée ? Non ! Pas eux, pas ça ! Même pour une cause, aussi juste soit-elle ; une communauté, aussi active soit-elle ; ou une patrie, tellement en quête de repères et d’unité soit-elle !
Comparer Rimbaud ou Verlaine à Oscar Wilde tiendrait de l’ignorance si ce n’était tout bonnement de l’imposture ! Si Oscar Wilde, porta haut son homosexualité, il en fut tout autrement de nos deux poètes. Jamais Rimbaud n’en pipa mot, et Verlaine, son « old cunt ever open(ed) », brouilla toujours les pistes, auprès de ses amis, comme devant la postérité, alternant l’aveu : « mon grand péché radieux » et le déni : « qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est pas ça (…) je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa ».
Et puis, quelle drôle d’idée de vouloir faire entrer au Panthéon, conjointement et en « parallèle » (sic), pour une sempiternelle mort commune, deux êtres que la vie et ses embrouilles avait séparés, comme tant d’autres, une fois la passion feue. Réunir sous une même coupole l’Oestre et le Loyola, ces libres divorcés, sous prétexte qu’ils se sont aimés 2 années durant, c’est vouloir nier leurs choix, réviser l’histoire, et figer leurs vies. Si leurs tombes sont séparées, qu’importe, leurs noms et leur mémoire resteront encore longtemps associés. N’est-ce donc pas l’essentiel pour vous ? D’ailleurs, on n’enferme pas des mythes au Panthéon, juste des symboles !
S’il vous paraît à ce titre important de faire respecter un quota de diversité au sein de l’édifice, pourquoi ne pas plutôt demander l’intronisation du plus grand écrivain français du siècle passé, celui en l’honneur duquel Verlaine précisément, le 10 juillet 1873, tira dans le ciel bruxellois, deux coups de révolver, comme autant de bougies d’anniversaire ? Sa tombe de marbre noire (sobre, mais ni étriquée ni avare), sise au Père Lachaise, ne lui donne-t-il pas déjà un avant-goût du lieu.
Mieux encore ! Boudé de son vivant par l’Académie Française, réclamons le transfert des cendres de Charles Trenet au Panthéon ! « Les san-glots longs/ des vi-olons/ de l’au-tomneeee/ ber-cent mon coeur/ d’u-ne langueur / mo-notoneee... » Quelle promotion inespérée, et quelle revanche ! Ne manque-t-on pas d’ailleurs cruellement de chanteurs – les poètes d’aujourd’hui – place des Grands-Hommes ?
Et s’il fallait ensuite appliquer un quota de rockers français, l’élu serait tout trouvé !
Circeto (04/10/2020)