Qui enfant ou adolescent, passionné d’un texte ou d’un auteur, n’a désiré comprendre au-delà du simple ressenti personnel, le sens profond, possiblement caché d’une œuvre ? Surtout, quand celle-ci toute de rupture, invente des formes inconnues, emprunte des voies nouvelles qui troublent nos anciens repères et nous déconcertent. Les annales scolaires, comme les éditions d’ouvrages copieusement annotées, ont été conçues dans le but économique de répondre à ce désir ; et sur internet, les blogs littéraires spécialisés dans l’analyse de texte univoque fleurissent comme narcisses aux premiers soleils. Je mentirais si je prétendais ne pas partager cette même curiosité, cette appétence enfantine pour les ombres et le mystère, et ce fumet de chasse au trésor qu’ils dégagent. Je ne serai pas là, sinon !
Ceci explique sans doute la continuelle déception que j’éprouve à la lecture des études produites sur Rimbaud. Plus exactement celles relatives à son œuvre, car en ce qui concerne l’homme, la biographie de Jean-Jacques Lefrère est pour moi un véritable bijou, un univers entier, un must indépassable. Les faits ne mentent jamais, la pensée et les mots toujours – mais, bien maniés (ou manipulés), ils savent parfois imiter à la perfection la vie.
La fréquentation, plusieurs années durant, sur un site bleu-turquin d’époque magdelénienne, du plus abordable, du plus involontairement généreux, et du plus foutraque des exégètes rimbaldiens m’a en effet rapidement convaincu que ce monde-là tournait en rond et sonnait creux. Passion, travail, imagination, éclat, érudition étaient certes au rendez-vous – et ô combien ! – mais à la fin demeurait toujours cette bizarre impression de « tout ça, pour ça ? ». Tant de certitude et de sérieux affichés pour quelques hypothèses bien volages ! Quand je l’ai croisé alors (comme on croise le fer), DéDé avait plusieurs dadas : Rimbaud et Banville, Rimbaud et Hugo, Rimbaud et la Commune, et il les chevauchait de conserve tous les 3. Sans doute, aujourd’hui possède-t-il tout un haras !
Grâce à lui (multipistes et tout-terrain), malgré lui (DéDé, tel qu’en lui-même), j’ai beaucoup appris – et en accéléré – sur le milieu que fréquentait Rimbaud, sur les circuits sinueux qu’empruntèrent ses manuscrits pour parvenir jusqu’à nous, mais, plus que tout, sur la versification. Avant lui, je ne savais pas seulement compter les pieds d’un vers, maintenant, je peux gloser, si ça me chante (faux), sur le 4 -7v.
J’ai également eu moult opportunités de constater que ses raisonnements exégétiques, fort longs et ramifiés (une pensée en arborescence en pleine pousse sous nos yeux incrédules !), partaient en général de présupposés bien peu solides, révisaient sans regimber les lois de la causalité, et niaient, par principe ontologique et économie de moyens, l’immense farce que le Hasard se plait à nous jouer depuis la nuit des temps. Vouloir mettre la rationalité au cœur de la création poétique est déjà un présupposé hardi, mais quand, en plus, la logique n’apparait pas comme le liant privilégié employé pour cimenter les divers éléments de l’exégèse, le succès de cette difficultueuse opération intellectuelle me parait bien improbable, sauf bien sûr à retomber sur ses pieds par … hasard. Dans les articles de DéDé, tout « coule de source » : les emprunts lexicaux commis par Rimbaud auprès d’autres poètes sont toujours évidents, les rapprochements entre deux poèmes, indéniables, et les sous-entendus, flagrants. Pour les intimes de la Divine Œuvre, rappelons les « ultra » et « crouler » déclarés résolument hugoliens, le « marais » forcément estampillé communard, les « strideurs » et «clairon » piqués de toute évidence dans le recueil de quelque frénétique romantique oublié (sous un pied de table ?), par un Rimbaud en panne d’inspiration.
Mais, si je ne crois pas, ou très peu, à la vertu de l’exégèse (les explications proposées ne font la plupart du temps qu’escamoter leur sujet d’étude derrière un épais écran de fumées), j’ai foi par contre en la capacité de l’érudition à apporter quelque précision factuelle et ciblée, à des questions clairement laissées en suspens, accidentellement ou à dessein, par l’œuvre ou l’auteur.
Quand DéDé, batifole dans le jardin des « daines » et restitue au Juste son mot barbouillé, quand il retrouve parmi les poèmes de Belmontet les bases des parodiques Hypotyposes saturniennes, ex Belmontet, je me réjouis. Nous sommes dans l’explicite, dans le constat objectif, pas dans l’interprétation ! Là, oui, pour moi, il fait le job ! Mais, quand il nous aligne 1500 caractères sur l’aqueduc de Michel et Christine, (Water, l’eau ?), là il se fait seulement plaisir – comme d’Habitude !
LAROQUEBROU (mésaventure nocturne et domestique d’un exégète)
Un soir à la veillée
Du côté d’Aurillac
J’hendécasyllabais
En attendant la Fac
Au milieu des élèves
Quand IL m’est apparu
Un fin sourire au lèvres
Et une plume au cul
– « Parmi la valetaille
C’est toi que j’ai choisi
Pour que bel’ tu la bailles
A tous ces beaux esprits
Qui sur mes vers bafouillent
Depuis tant de saisons
M’asticotant les –ouilles *
De leurs génuflexions
Je te dis mon secret
Il tient en peu de mots :
La Commune, 4-7v,
Banville et puis Hugo
Je te file la clef
Que m’a filée Verlaine
Va-t-en donc parader
Dans le jardin des daines ! »
La neige tombait dru
Comme les coups à Guignol
Sur l’asphalte des rues
Je regagnais ma piaule
Le cœur bouffi d’Arthur
L’égo rempli d’émoi
– » Mais Rimbaud, dis, pourquoi
T’as changé la serrure ?! »
* illisible (Steve Murphy estime qu’il s’agit de « nouilles » – voir le dossier complet in « La Pléiade » )
Circeto