L’incroyable et véridique histoire de Joseph NÉGOUSSIÉ

(et accessoirement celle de Joseph de Gälan)

JOSEPH n°1 :

Joseph NÉGOUSSIÉ est né en 1828 (merci Mme DESSE), c’est un oromo du Tigré. 

Il réside à Massaouah, en novembre 1872, quand Pierre ARNOUX s’y installe. Ayant une bonne connaissance de la langue française, il saura vite se rendre indispensable (secrétaire et interprète) auprès d’ARNOUX dans son projet d’établir des relations commerciales avec le Choa. Pour mémoire ARNOUX reprenait à son compte, les plans sur la comète Obock, chers à de RIVOYRE et à GODINEAU de la BRETONNERIE (décédé à Alexandrie, précisément chez ARNOUX).

Que savons-nous de la vie de Joseph NÉGOUSSIÉ, avant ses 44 ans ? D’évidence pas grand-chose. Jacques DESSE reprend quelques lignes écrites par de RIVOYRE, nous évoquant son ami NÉGOUSSIÉ de Massaouah (mais est-ce seulement Joseph ?), qui a appris le français dans l’île Bourbon et est mis aux fers, en 1866, à Aden, à la demande d’un créancier mécontent. 

Autre information plus fiable, l’évêque MASSAIA, nous présente l’interprète d’ARNOUX comme un ancien élève de la mission lazariste en Abyssinie – crée en 1839 – et nous précise que n’ayant pas la foi, Joseph NÉGOUSSIÉ a été renvoyé par Monseigneur Pierre-Louis BEL. Nous savons aussi que le père COULBEAUX – de 15 ans le cadet de NÉGOUSSIÉ – a été son professeur. Or, Monseigneur BEL a pris la direction de la mission lazariste, en mars 1866 et l’a gardée jusqu’à sa mort en 1869. Nous pouvons donc conclure que Joseph NÉGOUSSIÉ a quitté la mission à un âge déjà bien avancé (au minimum 38 ans).  

Joseph NÉGOUSSIÉ sera de tous les voyages d’ARNOUX : il le suivra, à Marseille, en 1873, dans sa vaine quête de capitaux auprès des riches commerçants de la ville, il l’accompagnera ensuite à Aden, puis au Choa, en septembre 1874. Selon l’évêque MASSAIA, NÉGOUSSIÉ fut le principal responsable des querelles qui éclatèrent entre ARNOUX et ses associés, mais ARNOUX lui gardait une confiance inébranlable – sans doute, lui était-il trop utile dans les négociations qu’il conduisait (avec succès) avec le roi Ménélik. Ce n’est qu’à son retour du Choa, à Zeilah, en août 1876, qu’ARNOUX comprit la véritable motivation de son secrétaire. Avec la complicité de Gabré Taklé (autre « protégé » d’ARNOUX et co-responsable de la caravane) ainsi que de la petite entreprise Abou Beker père et fils, il fût proprement fait main basse sur les marchandises que le Français ramenait.

Joseph NÉGOUSSIÉ – après s’être disputé avec Gabré Taklé – reprit prudemment le chemin du Choa afin de présenter au souverain, tout à la fois ses hommages, ses services et une version honorable (pour lui) des évènements qui s’étaient déroulés, se débrouillant pour charger comme une mule (animal fétiche des Négoussiades) son complice. Cette version – et les indéniables qualités d’adaptation de Joseph NÉGOUSSIÉ- durent plaire à Ménélik puisque les vingt années suivantes voient notre homme exercer, auprès du roi, un rôle de plus en plus important. Sa bonne connaissance du français sera de fait très utile pour Ménélik dans le cadre de sa politique d’échange avec les puissances coloniales, française bien sûr mais aussi italienne. Il est l’interprète obligé des conversations, le traducteur des courriers envoyés au pape, aux rois et autres présidents. C’est l’alaka Joseph, le lettré de la cour. En 1882, SOLEILLET le rencontre et dit se méfier beaucoup de lui ; de même BORELLI, en 1886. Mais tous reconnaissent sa capacité et le fait qu’il soit incontournable. Peu d’européens parlent en effet correctement l’amharique (ILG est une exception). 

En mars 1889, à la mort de Johannès, Ménélik devient empereur d’Ethiopie. L’Italie, qui a toujours misé sur Ménélik entend alors pousser son avantage à travers la signature, en mai 1889, d’un traité d’amitié et de paix (comprendre « protectorat »), entre les deux pays : le traité de Wuchale (Ucciali in italiano). Une ambassade éthiopienne est alors très vite envoyée à Rome, avec à sa tête Makonnen (cousin de Ménélik et père du futur Haylé Sélassié) et notre Joseph NÉGOUSSIÉ, nommé avant son départ gherazmatch (général). Ils reviendront en Ethiopie, un peu avant la fin de l’année 1889.

L’Histoire a retenu le rôle qu’a joué dans le déclenchement de la première guerre italo-éthiopienne l’erreur de traduction commise (volontairement, involontairement ?) entre la version italienne de l’article 17 de ce traité et sa version amharique. La version italienne entérinait de fait le protectorat diplomatique de l’Italie sur l’Ethiopie, tandis que l’autre laissait une latitude de décision à l’Ethiopie pour utiliser ou non l’Italie comme représentant diplomatique. Le pot aux roses ayant été découvert par l’empereur, grâce à la sagacité et aux connaissances linguistiques d’ILG, le comte ANTONELLI, représentant italien au Choa depuis de longues années, fut convoqué, en 1890, à la cour, pour quelques échanges linguistiques un peu vifs.

Quel rôle exact a joué Joseph NÉGOUSSIÉ dans cette affaire ? Est-il responsable de cette erreur de traduction, comme semble l’affirmer, dans son article, Jacques DESSE ? Tel était bien l’avis des Italiens, et notamment celui exprimé par ANTONELLI, qui reprochait à Joseph NÉGOUSSIÉ de ne pas avoir fait correctement son travail et d’avoir mal informé l’empereur, mais cet argument fut réfuté par l’empereur, qui rappela au comte que, si Joseph NÉGOUSSIÉ parlait et écrivait correctement le français, il était totalement incompétent en italien ; d’ailleurs la traduction en amharique avait été effectuée à partir d’une traduction française rédigée par ANTONELLI lui même à partir de la version italienne et non de la version originale 

Pour les amateurs de précisions concernant ces évènements, je conseille la lecture passionnante de Between the Jaws of Hyenas : A Diplomatic History of Ethiopia, 1876-1896, de Richard Alan Caulk et Bahru Zewde. Vous y croiserez notre Joseph NÉGOUSSIÉ, mais aussi Joseph de Gälan, proche d’’ANTONELLI, qui le met pleinement à contribution. 

Grâce à divers témoignages (récits de voyageurs, coupures de presse, courriers de l’empereur), nous pouvons suivre la trace du gherazmatch Joseph NÉGOUSSIÉ, toujours présenté comme l’un des personnages très proches de Ménélik, jusqu’en avril 1899 (mission MARCHAND). Il a alors soixante-et-onze ans et l’on peut supposer qu’il approche de la fin de son mandat (mouvementé) sur cette terre. 

Joseph NÉGOUSSIÉ (photo TRAVERSI)

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JOSEPH n°2

Joseph de Gälan est beaucoup plus jeune que Joseph NÉGOUSSIÉ. 

D’après SOLEILLET, qui le rencontre en 1882 ou 1883 dans la station « scientifique » italienne de Let Maréfia (terre proche d’Ankober que Ménélik avait mis à disposition du marquis ANTINORI, en 1877), Joseph de Gälan aurait été élevé à Marseille par les frères Capucins, à l’initiative de monseigneur MASSAIA. Or MASSAIA arrive au Choa, en 1856. Autre témoignage – cette fois photographique – le portrait de groupe de la délégation éthiopienne, présente à St Pétersbourg, en 1895, nous montre un Joseph de Gälan, n’ayant sans doute pas dépassé de beaucoup la trentaine.

Il n’est donc pas totalement aberrant de penser que Joseph de Gälan soit né vers la fin des années 50. Il avait ainsi une vingtaine d’années quand le roi Ménélik le retira de la mission capucine du Choa, où il travaillait, afin de l’affecter (probablement fin 1879, quand MASSAIA sera chassé du Choa), comme interprète auprès des italiens de Let Maréfia. 

On déduit de ceci, qu’il pratiquait correctement l’italien et qu’il aurait sans doute été techniquement plus simple de faire appel à lui, plutôt qu’à NÉGOUSSIÉ, pour la traduction du traité de Wuchale. Techniquement plus simple certes mais politiquement plus dangereux, comme NÉGOUSSIÉ aurait pu le souffler à l’oreille du souverain : n’était-il pas sans risques en effet de confier la traduction d’un tel acte, à un familier de la colonie italienne de Let Maréfia, si proche du comte ANTONELLI ? 

Ce jeune Joseph représentait une menace potentielle pour le secrétaire des affaires étrangères du roi. Nous savons comment est la nature humaine, aussi aurons-nous du mal à croire que NÉGOUSSIÉ ait beaucoup cherché à favoriser l’ascension de son confrère plus jeune et moins introduit. 

Si, en 1886, Ménélik envoie Joseph de Gälan en mission diplomatique auprès des italiens, à Assab, puis à Aden, c’est en revanche Joseph NÉGOUSSIÉ, porteur de son titre tout frais de gherazmatch, qui accompagnera Makonnen, en Italie, trois années plus tard. On comprend donc que l’ambitieux Joseph de Gälan ait dû emprunter des chemins de traverse pour tenter de faire sa place au soleil éthiopien. 

Ainsi, à la façon d’un NÉGOUSSIÉ devenant secrétaire d’ARNOUX afin de favoriser sa propre ascension, le jeune Joseph changea-t-il opportunément de comte, quand, en 1895, le cours de l’action italienne s’avéra totalement dévaluée. Adieu comte ANTONELLI, place au comte Nicolay LEONTIEF, et vive l’emprunt russe ! 

Joseph de Gälan a bien choisi son nouveau protecteur. Les voyages en Europe se multiplient, de 1895 à 1898 (Russie, Italie, Turquie…), les embrassades succèdent aux ambassades. La délégation éthiopienne est ainsi reçue, à bras ouverts et bouche que veux-tu ,par Nicolas II et le tout St Pétersbourg. Le tsar garantit l’Ethiopie de son aide face au danger italien. Ce sont les années fastes et folles d’Ato Joseph de Gälan, qui se présente, dans les différentes cours européennes, comme secrétaire de l’empereur, tandis que le gherazmatch NÉGOUSSIÉ vieillit au pays. Mais les anciens pratiquent l’art d’attendre.

Au premier faux-pas (une histoire de détournement d’armes impliquant LEONTIEF et ses proches ), quelque temps après son retour au pays, Joseph de Gälan se retrouve enfermé sur ordre de Ménélik. Nous sommes fin 1898, début 1899, l’ascension est stoppée.

La suite montre un Joseph de Gälan installé à Djibouti, à l’orée du siècle –vingtième du nom. Il se prétend (et sans doute l’est-il) représentant de Ménélik et intermédiaire incontournable pour les occidentaux en mal d’affaires. Ceci est sans doute une sorte d’exil plaqué-or. Il aime jouer au vice-consul de la place mais n’a pour titre que son simple Ato (monsieur). 

Sans doute, Joseph NÉGOUSSIÉ est-il mort, septantenaire, au tournant du siècle. 

Au cours des années 1910, Ato Joseph de Gälan semble définitivement incrusté à Djibouti, où il exerce toujours sa mystérieuse activité d’interprète diplomatique et de représentant officieux du négus. En 1917, Joseph de Gälan effleure la soixantaine et Henry de MONFREID le présente sous les traits d’un vieillard, ce qui démontre une fois de plus qu’on vieillit mal, sous ces climats (surtout quand on a abusé de la vodka).

Joseph de Gälan (Ato Joseph), à St Pétersbourg
Joseph de Gälan (photo TRAVERSI)
Signature du dit Ato Joseph (pas Négoussié pour 2 sous)

Circeto (12/11/2015)

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