Une fois parvenu à l’évidente conclusion que Joseph NÉGOUSSIÉ ne peut être l’homme jeune, appartenant à la délégation éthiopienne présente à St Pétersbourg en 1895, résolvons maintenant le pseudo mystère Joseph NÉGOUSSIÉ qui semble tant avoir intrigué Jacques DESSE.
« Le bon bout de la raison» – disait un autre Joseph – « il faut toujours prendre le problème par le bon bout de la raison » ! Que Jacques DESSE n’a-t-il suivi ce conseil !
S’il semble extraordinaire que Joseph NÉGOUSSIÉ ait vécu près d’un siècle, qu’il ait été « de toutes les pièces » et se soit incarné sous tant d’avatars, le « bon bout de la raison » nous souffle qu’il ne s’agit alors peut-être pas d’un seul personnage – mais de plusieurs, qu’un travail de recherche, visiblement bâclé, n’a pas détectés.
Passons donc en revue les multiples métamorphoses du personnage, telles qu’elles sont citées dans l’article : Le Yassouf NÉGOUSSIÉ de Massawa (1873) ; le Joseph NÉGOUSSIÉ d’ARNOUX (Massawa, puis Choa 1873 à 1875) ; le Joseph – interprète de la station italienne de Let-Maréfia (1884) ; l’alaka Joseph – secrétaire des affaires étrangères de Ménélik (1888) ; le domestique de RIMBAUD (1889 ?) ; le ghérazmatch (général) Joseph NÉGOUSSIÉ – «ami» de RIMBAUD », partant avec Makonnen pour l’Italie en 1889 et qu’ILG confirme être l’alaka, comme SOLEILLET être le NÉGOUSSIÉ d’ARNOUX ; l’Ato Joseph, secrétaire personnel de Ménélik, accompagnant LÉONTIEV dans ses voyages en Russie, au Vatican et en Turquie (de 1895 à 1898) et que Ménélik met en prison lors de son dernier retour ; le ghérazmatch NÉGOUSSIÉ rencontrant la mission MARCHAND (1899) ; l’Ato Joseph / Joseph de Gälan, interprète diplomatique, « quasi-consul», rencontré par Hugues le ROUX à Djibouti (1901) ; et enfin l’Ato Joseph, trafiquant d’armes à Djibouti, cité par Henry de MONFREID (jusqu’en 1917) – un Henry de MONFREID jurant que ce Joseph avait préalablement été au service de RIMBAUD, puis de LÉONTIEV.
Reconnaissons que pour un non spécialiste de l’Ethiopie (et de RIMBAUD), comme l’est notre ami Jacques DESSE (mais pourquoi alors poser à l’expert pour la galerie ?), on peut s’y perdre ! Et Jacques s’y perd corps et biens, mêlant les noms en un fatras indescriptible (par exemple Ato Joseph NÉGOUSSIÉ en Russie).
Le « bon bout de la raison», Jacques ! Le « bon bout de la raison» !
Autre détail curieux qui aurait dû vous mettre sur la voie de la sagesse : vous nous décrivez un Ato Joseph revenant en Ethiopie, en 1898, jeté en prison sur décision de l’empereur, mais réapparaissant comme par enchantement, dès l’année suivante, en grande tenue de général auprès de la mission MARCHAND. Bizarre, non ? Plus étrange encore, deux ans plus tard, le revoilà rétrogradé simple Ato. Vous nous précisez qu’il porte alors la particule (sic !) : Joseph de Gälan. Un peu de sérieux, Jacques, nous sommes au pays du roi des rois ! Pas chez Alcazar ou Tapioca !

N’était-il pas plus cohérent de se demander s’il n’y avait pas (au minimum) 2 hommes, au lieu d’un seul ? Par exemple : un Joseph NÉGOUSSIÉ (devenu général) et un Joseph de Gälan (resté de bout en bout simple Ato) ? Tentez l’expérience et vous vous apercevrez que l’histoire s’éclaircit alors singulièrement !
Certes – on l’a vu par le passé – la logique n’est pas votre passion première, mais, il y avait un moyen, plus classique, vous permettant de parvenir à la même conclusion : il suffisait de travailler réellement le sujet, de compulser les bons ouvrages. Presque tout est aujourd’hui sur internet, à la portée du premier venu. Vous auriez pu mettre ainsi la main sur quelques documents, où ces 2 Josephs sont clairement distingués l’un de l’autre.
N’étant pas dans la posture, je ne vous encombrerai pas de citations multiples ou d’une foultitude d’annotations de bas de page. Je conseillerais juste la saine lecture de 3 textes :
- Between the Jaws of Hyenas : A Diplomatic History of Ethiopia, 1876-1896, de Richard Alan Caulk et Bahru Zewde. Je vous recommande particulièrement la page 55, où apparaît l’origine du nom Joseph de Gälan, précisément utilisé pour distinguer ce simple Ato Joseph du déjà fameux Joseph NÉGOUSSIÉ, secrétaire des affaires étrangères. Vous verrez qu’on est loin de la noble particule. https://books.google.fr/books?id=ZJLCZT7MW08C&pg=PA325&lpg=PA325&dq=in+the+jaws+of+hyena&source=bl&ots=M9zxkbsRMd&sig=RtlxBwAQRLiWSnKym5KMMUv2zYA&hl=de&sa=X&ved=0CFMQ6AEwCmoVChMIuvGLkY33yAIVCV0aCh3U-gTz#v=onepage&q=galan&f=falsehttps://books.google.fr/books?id=ZJLCZT7MW08C&pg=PA325&lpg=PA325&dq=in+the+jaws+of+hyena&source=bl&ots=M9zxkbsRMd&sig=RtlxBwAQRLiWSnKym5KMMUv2zYA&hl=de&sa=X&ved=0CFMQ6AEwCmoVChMIuvGLkY33yAIVCV0aCh3U-gTz#v=onepage&q=galan&f=false
Tous les 2 sont lettrés et traducteurs (Ato Joseph de Gälan, à Let Maréfia, et Alaka Joseph NÉGOUSSIÉ au « Château »). Telle était la chausse-trappe où vous êtes, de bon cœur, tombé.
Pour l’anecdote, on déniche dans ce livre remarquable, un passage mettant en scène une querelle, à distance, entre les 2 Josephs sur la traduction de certains mots clefs des traités italo-éthiopiens, source d’une guerre future.
2. Voyages en Éthiopie (janvier 1882-octobre 1884), notes, lettres et documents divers, de Paul SOLEILLET. https://archive.org/stream/voyagesenthiopi00solegoog/voyagesenthiopi00solegoog_djvu.txthttps://archive.org/stream/voyagesenthiopi00solegoog/voyagesenthiopi00solegoog_djvu.txt
SOLEILLET nous rapporte incidemment ses rencontres successives avec les 2 Josephs : l’Alaka Joseph, premier secrétaire et interprète du roi, dont il se méfie grandement, et Monsieur Joseph, de Let Maréfia, un gouragué, élevé à Marseille par les capucins sur décision de l’évêque MASSAÏA, et qu’il semble, au contraire de l’autre, apprécier.
3. Les missions catholiques– Bulletin hebdomadaire (tome 30, 1898) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105638g/f137.item.r=fiat.texteImagehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105638g/f137.item.r=fiat.texteImage
On y trouve un courrier, daté du 4 février 1898, adressé par le père lazariste COULBEAUX, au père FIAT, supérieur général de la congrégation de la mission et de la compagnie des filles de la charité. Le père COULBEAUX y narre sa rencontre, à Addis Abeba, le 2 février 1898, avec l’empereur, en présence du gherazmatch Joseph (chancelier de l’ordre de l’étoile d’Ethiopie et secrétaire du roi des rois), qu’il affirme être l’un de ses anciens élèves de la mission lazariste en Abyssinie. Or, à cette même date, le second Joseph (Ato Joseph de Gälan) est, à plusieurs milliers de kilomètres de là, en Turquie, en compagnie de LÉONTIEV. Pas plus que pour un certain DUTRIEUX, du côté d’Aden, je ne crois là, Jacques, à une possibilité de téléportation, entre 2 continents.
Il y avait donc 2 Josephs distincts et la photo que vous avez présentée ne peut au mieux être que celle de Joseph de Gälan (Ato Joseph), pas celle de l’ « ami » de RIMBAUD (Joseph NÉGOUSSIÉ). Pas de chance pour votre belle histoire du « figurant de toutes les pièces» ! Il y avait une doublure cachée !
Encore un tour de passe-passe raté !
Circeto (04/11/2015)